Un lieu à soi - Virginia Woolf

Un lieu à soi – Virginia Woolf

Je me doutais bien que j’allais particulièrement apprécier Virginia Woolf, mais pas à ce point. Un lieu à soi est la première œuvre que je lis de cette auteure hors du commun et c’est un immense coup de cœur.

Auteur : Virginia Woolf

Genre : littérature anglo-saxonne – essai

Résumé

Virginia Woolf nous propose dans cet essai de suivre son fil de pensée sur la condition de la femme et les conséquences que cela implique, plus précisément sur le thème des femmes et la littérature. Le texte est un mélange original de faits réels, puisque le lecteur accompagne l’auteure dans ses recherches, et de touches de fiction.

La femme est un sujet très souvent traité en littérature à cette époque. L’auteure déplore ici la manière dont elles sont traitées, représentées et imaginées, toujours par des hommes, parfois même sous crédit scientifique. Elle comprend la nécessité qu’ont les hommes de se sentir confiants et supérieurs à la femme tant dans la sphère privée que professionnelle, et qu’ils font tout pour que cela reste ainsi : un gage de réussite pour avancer dans la vie et dans la société.

Virginia Woolf réfléchit également aux femmes en tant que personnages de littérature : elles sont bien mieux traitées dans les romans que dans la réalité. Elle observe également la difficulté et la réalité auxquelles elles font face en tant qu’auteures : écrire relève de l’impossible notamment parce qu’elles n’ont pas accès à l’éducation, au matériel, au temps nécessaire, et sont forcées de mener une vie qu’elles n’ont généralement pas choisie. Quand bien même cela arrive, fait rarissime, elles sont riches et nobles, et parviennent à peine à écrire, seulement des romans (déguisées, en cachette, sans pièce à elles et sous un faux nom), pratique entrecoupée par leurs obligations de la journée.

Avis

Ce qui me frappe le plus dans cet essai est l’avant-gardisme de ses propos. Virginia Woolf était tellement en avance sur son temps. Certains points qu’elle aborde dans son texte sont totalement d’actualité. Je ne me lasse pas de la classe et de l’élégance de ses réactions. Peut-être est-ce là mon imagination, mais j’ai ressenti qu’elle exprimait une fierté des femmes et une conviction que dans quelques années la situation évoluerait, doucement, un peu plus. Elle se permet à la fois d’avancer des problèmes de société et ose également effleurer subtilement certains sujets très tabous. Son écriture laisse transparaître son intelligence et sa dignité. L’auteure comprend que la femme n’est absolument pas une créature inférieure mais refuse, malgré la gravité de la condition de la femme, de s’abaisser à réagir « à chaud » avec colère et ressentiment, à la violente misogynie subie par presque la moitié de l’humanité.

C’est un des premiers essais que je lis. Je n’ai pas l’habitude de lire ce genre d’écrits, simplement parce que mon choix se tourne vers des lectures dont je suis assez sûre qu’elles me plairont, et que je souhaite absolument acquérir à savoir la fantasy ou la science-fiction. Je fus très surprise de me retrouver à sourire voire à rire à certains moments ! Oui, même dans un contexte tout à fait sérieux tel qu’une remarque misogyne, Virginia Woolf, tout en continuant sa réflexion n’a pas peur par exemple de lancer une pique drôle, pour elle-même et ses lecteurs.

La qualité de son écriture est extraordinaire, au point que je suis sûre de me procurer ses œuvres, à terme, en anglais afin de les redécouvrir dans leur langue d’origine. Avis aux amoureux anglophones de Virginia Woolf : ce texte est à mon sens trop beau et plein de subtilités pour se contenter de la traduction. La forme est surprenante puisqu’elle mélange réflexions philosophiques, moments autobiographiques et fiction avec une fluidité et un rythme sublimes. Le contenu est sensationnel : elle aborde des sujets sérieux mais prend soin de rester claire et compréhensible. Certaines références ne sont peut-être pas compréhensibles par tous, mais ne gênent absolument pas la compréhension de sa réflexion. Elles sont semblables à des pierres précieuses, comme un bonus que comprendront certains lecteurs, ajoutées subtilement à son texte.

J’ai été bouleversée par sa lucidité, notamment sur la condition des femmes et les inégalités, et ses conséquences, ainsi que par son calme, empreint de touches d’espoir parfois indécelables, face à cette situation. Tout ceci est incroyablement bien intégré à ses réflexions, la finesse de son écriture m’impressionne. J’ai adoré la sensation d’être avec mon statut de lectrice, une inconnue, mais malgré tout une invitée, accueillie avec bienveillance dans le fil de ses pensées.  

Le travail de l’auteure est, je trouve, remarquable. Cet essai, très court, constitue une réflexion inspirée de deux conférences que Virginia Woolf a données en 1928 dans des colleges pour femmes (universités) en Angleterre sur le sujet de la femme et la littérature. Si vous vous laissez tenter par cet essai, vous embarquerez avec elle pour une promenade sur deux jours et demi, durant lesquels elle mêle observation et fil de pensées, souvenirs et touches de fiction pour mener à bien son cheminement.

En bref

Un essai totalement d’avant-garde

Les + : un sujet encore d’actualité abordé avec finesse et intelligence

Divers

Titre original : A Room of One’s Own

Paru le : 27/02/2020

Éditeur : Gallimard

Traduit de l’anglais par Marie Darrieussecq

Extrait d’Un lieu à soi

Hélas, posée sur l’herbe, ma petite pensée paraissait bien insignifiante ; le genre de poisson qu’un bon pêcheur remet à l’eau pour qu’il grossisse et vaille un jour la peine d’être cuit et mangé. Je ne vous embêterai pas avec cette pensée maintenant, même si, en cherchant bien, vous pourriez la trouver par vous-mêmes dans la suite de mes propos.

Pour petite qu’elle fût, elle avait néanmoins la mystérieuse propriété de son espèce – rejetée au fond de l’esprit, elle y devint aussitôt très excitante et importante ; et comme elle bondissait et plongeait, et jaillissait ici et là, elle déclencha un tel bouillonnement et tumulte d’idées qu’il me fut impossible de rester assise. C’est ainsi que je me retrouvai à marcher d’un pas extrêmement rapide à travers une étendue de gazon. Instantanément la silhouette d’un homme se dressa pour m’intercepter. Non que j’aie tout de suite compris que les gesticulations de ce curieux objet, en frac et chemise du soir, m’étaient adressées. Son visage exprimait l’horreur et l’indignation. L’instinct, plus que la raison, me vint en aide ; c’était un Surveillant ; j’étais une femme. Ça c’était la pelouse ; ça c’était l’allée. Seuls les Professeurs et les Étudiants sont autorisés ici ; le gravier est pour moi. De telles pensées furent l’affaire d’un instant. Comme je regagnais l’allée, les bras du surveillant retombèrent, son visage reprit son calme habituel, et même si la pelouse est plus agréable que le gravier pour marcher, il n’y avait pas grand mal. La seule accusation que je pouvais porter contre les Professeurs et les Étudiants de ce college, quel qu’il fût, était qu’au nom de la protection d’une pelouse dont ils s’étaient transmis l’entretien pendant trois cents ans, ils avaient fait fuir mon petit poisson.

Un lieu à soi.

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