L’écrivain américain Victor LaValle nous propose avec La Ballade de Black Tom une réécriture de la célèbre nouvelle controversée Horreur à Red Hook d’Howard Phillips Lovecraft, avec un point de vue différent. Ce récit est une de mes meilleures lectures de l’année. Vous êtes fan de fantastique ? N’attendez plus (que vous aimiez les œuvres de Lovecraft ou non !), filez le commander en librairie.
Auteur : Victor LaValle
Genre : nouvelle – fantastique – horreur
Résumé
Harlem. 1924. Tommy Tester, étui à guitare en main, entame une journée qui ressemble à tant d’autres. Son costume et son chapeau sont un peu usés et il n’a aucun talent, mais son attitude de gentleman pouvait beaucoup y faire avec le public blanc amateur de jazz. Toujours conscient de sa condition de jeune homme noir, il se laisse guider. Il arpente nonchalamment les rues à la recherche d’un endroit où jouer. L’acceptation d’une mission va changer le cours de son existence.
Avis
Le début du récit est un vrai délice. On suit tranquillement Charles Thomas Tester tout au long de sa journée. Le lecteur le découvre, comme si un voile tombait au fil des mots, au travers des descriptions des rues, des pensées banales sur sa vie. C’est une promenade plutôt agréable dans le Queens.
Je me suis fait avoir. Je ne m’attendais absolument pas à un tel tournant. L’intrigue vire sans prévenir au fantastique. Une fois que l’on s’en rend compte, on se dit que finalement certains éléments étaient peut-être étranges. Ou peut-être pas. Toutes les caractéristiques d’un roman fantastique me direz-vous. Oui. Évidemment cela était totalement prévisible mais ayant plongé dans le livre sans me renseigner… c’était un de mes premiers le Bélial’. J’ai été impressionnée par l’écriture passionnante et intense.
On peut dire que Tommy est un jeune sérieux, responsable et aimant qui fait de son mieux pour assurer à son père et lui une vie correcte. La douceur et la simplicité côtoient vraiment les éléments fantastiques puis d’horreur qui explosent sans que l’on s’y attende. Cela va crescendo. Il s’agit vraiment, au début, de touches, qui peuvent tout à fait, quand on y réfléchit, ne pas être si fantastiques que cela. Mais plus le lecteur avance dans le récit plus il se rend compte que le fantastique se fait une place. Le choix d’écrire ce roman en deux parties est une idée excellente. Au départ j’ai été choquée et terriblement déçue de voir que soudainement j’étais arrivée à la fin de l’histoire. Un véritable choc, un peu comme si j’étais spectatrice de l’histoire et que soudainement quelqu’un m’arrachait de la pensine de Tommy. La deuxième partie est en fait la même histoire mais racontée du point de vue d’un autre personnage, l’inspecteur Malone ! En fin de compte, l’œuvre est tellement excellente, à mon goût, que je pardonne à l’auteur ce choix, ainsi que la longueur du récit.

Première de ses œuvres publiée en France, La Ballade de Black Tom est une nouvelle fantastique par excellence. Victor LaValle a écrit d’autres nouvelles mais si ce n’est pas votre format favori et que cet auteur vous intrigue malgré tout, sachez qu’il a également écrit des romans, un essai et même une bande dessinée.
En bref
Une nouvelle prenante pleine de messages
Les + : l’auteur mêle douceur, rage et horreur avec talent
Divers
Titre original : The Ballad of Black Tom
Paru (pour cette édition) le : 19/04/2018
Éditeur : le Bélial’
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Benoît Domis
Illustration de couverture : Aurélien Police
Prix Shirley Jackson 2016
Prix British Fantasy meilleure nouvelle 2017
Prix Imaginales 2019
Finaliste Prix Nebula 2016 meilleure nouvelle
Finaliste Prix Hugo 2017 meilleure nouvelle
Finaliste Prix Bram Stoker 2016
Finaliste Prix World Fantasy 2017
Finaliste Prix Theodore Sturgeon 2017
Nominé Prix Elbakin.net 2018 meilleur roman traduit
Extrait de La Ballade de Black Tom
– Quatre cents dollars.
– Juste pour venir jouer à sa soirée ? » insista Otis. Il attrapa le gobelet de jus de fruits de la passion, le porta à son nez, renifla, puis le remit à sa place. « Pour t’entendre jouer toi ? »
Tommy mâcha un morceau de salade d’ananas. C’était doux, mais l’effet du citron vert et du piment rouge ne tarda pas à se faire sentir. Il avala d’un trait son jus de fruits pour apaiser sa gorge en feu.
« C’est ce qu’il a dit. »
Otis leva les mains en l’air, les écartant autant que possible l’une de l’autre.
« Ça, c’est la distance qui sépare ce que dit un Blanc à un Noir et ce qu’il a vraiment en tête. »
Tommy le savait, bien sûr. N’avait-il pas déjà vécu vingt ans en Amérique ? Sa petite arnaque – son spectacle – reposait entièrement sur l’idée que les gens avaient des motifs inavoués pour l’engager.
En enfilant ses vêtements usés pour jouer la comédie du bluesman ou du jazzman, ou même celle du Noir docile, il n’ignorait pas que son rôle lui conférait une sorte de pouvoir. […]
« Je serai très prudent, papa. »
Otis Tester regarda son fils en silence. Le volume sonore augmentait à mesure que la salle de restaurant se remplissait. Mais leur table semblait prise dans une bulle de tranquillité. Otis était le père d’un jeune Noir de vingt ans qui venait de lui expliquer allègrement qu’il comptait se rendre à Flatbush, en pleine nuit, au domicile d’un Blanc. Il aurait aussi bien pu lui annoncer qu’il avait l’intention d’affronter un ours à mains nues.
La Ballade de Black Tom.